23.2.20

Enrique Vila-Matas « Œuvres complètes I »: On ne finit jamais de comprendre Roberto Bolaño 2020

« Le secret d’ennuyer est celui de tout dire », disait Voltaire. Ce n’était pas, semble-t-il, ce que pensait le jeune Kafka lorsque, dans Description d’un combat (1909), il exigea que tout, absolument tout lui fût raconté (« Incontinent je lui criai : – Sortez-les donc vos histoires ! J’en ai assez de vos réticences ! Dites-moi tout de A à Z ! Je veux tout savoir, tout ; j’en brûle d’envie ! »).
Entre Voltaire et Kafka, on devine un arc dans lequel s’encastrent à la perfection les cinq tendances essentielles de la prose romanesque de notre temps : celle de ceux qui n’ont rien à raconter, celle de ceux qui délibérément ne racontent rien, celle de ceux qui ne racontent pas tout, celle de ceux qui espèrent que Dieu se décidera un jour à tout raconter, et celle de ceux, enfin, qui ont succombé au pouvoir de la technologie, laquelle semble tout enregistrer et rendre superflu jusqu’au si ancien métier d’écrivain

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Il faudrait situer le Chilien Roberto Bolaño (1953-2003) quelque part dans le quatrième groupe. Non parce qu’il aurait été tenté, à un moment donné, de rivaliser avec n’importe quel substitut de Dieu, mais parce qu’avec 2666 (2004 ; Christian Bourgois, 2008), dans la dernière étape de sa trajectoire littéraire, il chercha le « roman total », une tentative de tout embrasser qui fut interrompue, au cours de l’été 2003, par la mort, cette célèbre spécialiste de la destruction de tout, à commencer par l’idée d’atteindre le fascinant ensemble qui excitait tant Kafka.

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